Le Mesnil au Val, l’un des berceaux du Calvados* ?

En tout cas, il est acquis que Gilles Picot, sire de Gouberville, lieutenant des Eaux et Forêts en la Vicomté de Volognes, disposait bien d’un alambic dans l’une des chambres de son manoir de Barville et qu’il savait s’en servir pour distiller bien autre chose que des pétales de fleurs.

Cette passionnante expérience se serait déroulée un beau Mardi 28 mars 1553 d’après une opinion communément admise qui invoque à cet effet le Livre de raison de notre gentilhomme terrien, dont les qualités d’initiateur, de promoteur et de propagateur de la culture des pommiers à cidre est autrement plus établie pour s’y être soigneusement consacré après leur introduction en Normandie par le brave Guillaume Dursus, originaire de Navarre, et Marin Onfroy, seigneur de Saint Laurent sur Mer, qui acclimateront de savoureuses espèces venues de Biscaye.

Pour mémoire, d’après les médisances de l’époque, les pommes du Cotentin produisaient un cidre à ce point détestable que seuls l’auraient bu ceux désireux de donner des preuves d’austérité ou de mortification.

Voici qui n’était pas exactement le cas de notre surgeon d’ancienne noblesse qui tenait une belle et bonne table (avec des menus décrits comme “effarants”, incorporant des mets parfois exotiques à l’exemple de l’huile d’olive ; de la dinde [alors récemment apparue en France], de l’orange, du citron, de grenade, de marsouin, …), accueillante au point de recevoir gracieusement des visiteurs au nombre desquels François le Tourangeau.

Curieusement apparu dans les mémoires du sieur de Gouberville le lendemain 29, et au moins aussi cultivé que ce dernier, ce horsain sera qualifié de “maistre”, en reconnaissance de ses savoirs (en alchimie ? en philosophie ? dans les deux, mon capitaine ?).

Durant son séjour prolongé, ce sympathique convive accompagnera son hôte, le 14 avril, à “à Saulsemesnil, chez Thomas Mouchel, où ils firent faire [par Roger Mouchel] de grandes terrines à deux pieds d’ouverture” vraisemblablement destinées à recevoir le produit des ustensiles perçus “le 18 avril, apprès disner, […] à la Voyrrerie, à Bris, pour rapporter des alambys de voyere”.

La force du feu et de la brûlerie s’appréciera au regard de l’agenda de nos compères qui seront contraint de confier à un homme de l’art la réparation d’un matériel qui avait été loin d’être laissé au repos selon la mention portée par notre distingué hobereau sur son livre de compte, le 1er septembre 1554 : “je baille à Michelet, chaudronnier, pour deux jours qu’il avoyt été à racoustrer le vesseau pour fère de l’eau-de-vie, et pour ses matières qu’il y avoyt mises, 15 solds”.

En clair : pour “raccommoder” le bassin de cuisson, notre ancien voisin Gilles payait à un artisan habile une somme correspondant à 15 jours du salaire versé à un serviteur habituel de son logis & domaine, au demeurant administré au point d’être prospère.
Si la transformation du vin en eau-de-vie est bien apparue vers 1150 du côté de Salerne avec des usages demeurés largement médicinaux, insensiblement détournés par quelques joyeux noceurs, saluons ici l’ingéniosité d’un membre de la commune – repose aujourd’hui encore sous notre église –, qui eut l’idée de substituer au maigre vin du Cotentin un riche sydre qu’il prescrira (peut-être) à la manière des apothicaires d’antan en vantant ses vertus, propres “à aiguiser l’entendement et faire bonne mémoire, conserver jeunesse, donner joie et allégresse.
Là encore, depuis ces quelques lignes jusqu’à votre possible gorgée de cidre : tout cela est à consommer avec modération*, à laquelle échappent les rejetons des variétés Marin-Onfroy, Pycey, Haye, Couet, Thoumine-Roger, Dameret, Long-pied, Tostonnet ou Gros-Doulx, Amer-Doux, Jumelle, Guillot-Roger, Ozenne, Durepel et consorts, malheureusement oubliées par nos papilles….
Signé : le concombre masqué
Quelques références :
Revue d’histoire moderne et contemporaine, Société d’histoire moderne et contemporaine, juillet-septembre 1984, p.470
Mémoire de la Société des antiquaires de Normandie, p.32
Journal manuscrit d’un sire de Gouberville et du Mesnil-au-Val, Etude publiée dans le Journal de Valognes, 1870-1872, p.219-220
l’Alambic dans la cuisine ?; Nicolas Thomas, p.39